La démocratie face à l’extrême droite : menaces et perspectives pour le vivre ensemble

Image by Javier Robles from Pixabay

C’était au début du mois de septembre, des élections régionales partielles en Allemagne débouchaient sur la victoire de l’AFD en Thuringe et un score important menant à la deuxième place en Saxe. L’information a fait grand bruit quelques jours avant de se perdre dans le flux des nouvelles actualités. Elle s’inscrit pourtant dans une continuité, celle de voir les partis d’extrême droite obtenir des scores importants lors des élections ces vingt dernières années, au sein des démocraties occidentales et non européennes.  

Le but de cet article est d’interroger cet attrait pour des partis d’extrême droite, mieux comprendre leurs discours, s’interroger sur les menaces qu’ils font courir à la démocratie, sans tomber dans un pessimisme excessif puisque ces partis ont également subi d’importants revers qui montrent que nos démocraties parviennent dans certaines conditions à résister à cette vague. C’est un article qui me tient particulièrement à cœur pour les plus jeunes lecteurs, il est écrit pour un jeune public en reprenant des éléments qui me semblent essentiels au débat.    

Qu’est-ce qu’un parti d’extrême droite ?  

La science politique a donné une définition consolidée d’un parti politique. De manière simplifiée, c’est une organisation qui se présente de manière régulière à des élections en développant un programme politique. Les politologues étudient les fonctions des partis politiques par exemple dans la sélection des nouveaux candidats qu’ils opèrent ou dans la construction de nouvelles idées politiques qu’ils promeuvent. Ainsi les partis politiques ne sont pas de simples mouvements d’idées, ils se distinguent par le fait qu’ils concourent régulièrement aux suffrages des électeurs.  

La définition de l’extrême droite est plus complexe car le terme contient à la fois une connotation historique avec les événements en Europe durant les années trente, une dimension péjorative, et un brouillage des lignes par l’utilisation d’autant de termes comme des partis de droite radicale, de droite extrême et d’extrême droite. Je propose à des fins purement pédagogiques de retenir quatre  notions importantes spécifiques à ces partis. 1) Ces partis focalisent une part essentielle de leurs discours sur l’immigration et l’Islam (ou les latinos pour les États-Unis), alimentant des propos racistes et islamophobes. 2) Ils ne respectent pas l’État de droit et la séparation des pouvoirs en refusant de reconnaître les décisions de justice. 3) Ils entretiennent un rapport conflictuel avec les médias généralistes (par exemple le parti de Marine Le Pen a expulsé manu militari des journalistes de l’émission Quotidien en 2017, l’équipe de campagne d’Eric Zemmour avait fait de même en 2022). 4) plus récemment, certains partis ou candidats ont également refusé de reconnaître leur défaite à une élection comme Donald Trump en 2020 ou, au Brésil, Jair Bolsonaro en 2022. La reconnaissance d’une défaite et le droit à une alternance en politique sont décrits par de nombreux politologues comme des aspects fondamentaux de nos démocraties. Voyez par exemple l’ouvrage majeur d’un des grands spécialistes de ce sujet, Adam Przeworski. Ces quatre éléments ne doivent pas tous être présents pour parler d’un parti d’extrême droite. Ces éléments sont fondamentalement incompatibles avec nos démocraties, ce qui explique pourquoi ces partis doivent être combattus par la voie des idées, de l’éducation et de l’enseignement.   

Dans quelle mesure les partis d’extrême droite se sont-ils installés dans le paysage politique européen lors des élections ces vingt dernières années ?  

La victoire de l’AFD en Thuringe laisse l’impression d’une évolution constante et toujours en croissance des partis d’extrême droite. C’est en réalité beaucoup plus complexe que cela. Ces partis ont également perdu de nombreux scrutins ou ne sont pas arrivés à conquérir complètement le pouvoir. C’est pour cette raison qu’il n’y a pas lieu de sombrer au pessimisme, ni à une quelconque fatalité. Les victoires de ces partis sont bien plus visibles dans les médias que leurs défaites. Je propose ici de revisiter quelques élections historiques marquantes.  

Le point de départ de cette question se joue lors de la qualification au deuxième tour de l’élection présidentielle en France de Jean-Marie le Pen en avril 2002, éliminant le candidat socialiste Lionel Jospin qui annonça le soir même son retrait de la vie politique, dans un discours qui a fait date et que je vous suggère de réécouter dans son intégralité tant il témoigne déjà à l’époque du climat politique en France. 

Jean-Marie le Pen sera écrasé au second tour par Jacques Chirac quelques semaines plus tard et la société civile française s’est mobilisée par le biais de manifestations contre l’extrême droite qui ont mobilisé à l’époque plus d’un million de Français dans les rues.  C’est déjà ici un point essentiel de cet article : la mobilisation est la meilleure arme face à l’extrême droite. Au premier tour de l’élection de 2002, de nombreux Français n’étaient pas allés voter.  

D’année en année, l’extrême droite a fluctué en Europe, en Autriche notamment, en Belgique également dans la partie nord du pays, aux Pays-Bas, et plus récemment en Finlande et en Suède. En réalité deux phénomènes contradictoires interpellent : 1) quasiment aucun pays n’est épargné par la montée de l’extrême droite. 2) Les partis d’extrême droite n’ont jamais vraiment réussi à s’installer au pouvoir. L’AFD en Allemagne est un bon exemple. Sa victoire récente est partielle et limitée à un espace régional. Si on regarde à échelle de tout le pays, ses résultats sont plus contrastés. Alors que le parti avait évolué fortement entre 2013 et 2017, il a décliné en 2021.  

Infographie: L'évolution des forces politiques en Allemagne | Statista Vous trouverez plus d’infographie sur Statista

Source : https://fr.statista.com/infographie/25857/evolution-des-scores-des-principaux-partis-politiques-aux-elections-federales-allemandes/

Plus récemment toutefois, deux pays fondateurs de l’Union européenne ont installé un parti d’extrême droite au pouvoir, c’est le cas au Pays-Bas où Geert Wilders soutient un gouvernement de coalition dans lequel siège son parti et en Italie où Giorgia Meloni est Première ministre. En outre, les partis d’extrême droite se sont renforcés aux élections européennes en formant désormais trois groupes parlementaires dont celui des patriotes qui est la 3e force politique du parlement.  

Quel bilan peut-on tirer de ces vingt dernières années ?  

Si les partis d’extrême droite ne sont pas parvenus à s’installer durablement au pouvoir dans les pays européens, ils ont malgré tout réussi à avoir une influence nuisible sur le fonctionnement de la démocratie. Fait majeur, ils ont réussi à déplacer le centre de gravité vers leurs propres thématiques. Aujourd’hui, de nombreux sujets comme la sécurité ou l’immigration sont devenus des priorités politiques alors même que les partis d’extrême droite ne sont pas présents au gouvernement. Récemment, le Danemark a par exemple durci sa politique d’asile malgré qu’un parti de gauche était au pouvoir. C’est le problème majeur auquel nous sommes confrontés, craignant d’être battus aux élections suivantes, les autres partis politiques appliquent un programme proche de celui de l’extrême droite qui parvient ainsi à gouverner en son absence.  

Néanmoins, les démocraties ont montré un beau sentiment de résistance et un attachement à nos valeurs fondamentales. En Allemagne, plus d’un million de personnes ont manifesté en janvier 2024 face au risque d’une dérive vers l’extrême droite, de manière assez proche des citoyens français en avril 2002. La justice allemande mène également de nombreuses enquêtes contre l’AFD et n’hésite pas à mettre le parti sur écoute pour lutter contre les néonazis qui s’y sont immiscés. Cette mobilisation est la valeur fondamentale à cultiver. C’est elle qui a permis aux Français d’empêcher le rassemblement national de remporter les récentes élections anticipées de l’été 2024, grâce à une participation très importante. C’est en allant tous voter que l’extrême droite est vaincue dans les urnes.  

Dans la vie économique et politique, il y a des opinions différentes et c’est la beauté des démocraties. Il y a des personnes favorables aux plus riches ou au plus pauvres, d’autres favorables aux vélos face aux voitures,… Mais il y a aussi des partis qui sortent du système. Le racisme, le rejet de l’étranger, la haine de l’autre ne seront jamais des opinions, ce sont des délits, même des crimes qui ont mené aux plus grandes atrocités que l’humanité ait connues. Ces partis doivent pour cette raison être combattus par une mobilisation forte et une éducation à la hauteur des enjeux. Notre démocratie n’est pas acquise, elle est ce que nous en ferons chaque jour. 

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