Risque de fermeture de la librairie filigranes : Une nécessité de passer du modèle de l’homo œconomicus rationnel à un consommateur engagé et responsable

Image par Lubos Houska de Pixabay

Mercredi 18 septembre, la mauvaise nouvelle est tombée, Filigranes est à vendre ! Un choc pour les amoureux du livre, pour les connaisseurs de ce lieu bruxellois qui apprécient la petite salle à manger, les immenses rayons, le piano. Filigranes pourrait-elle disparaître ? C’est une excellente occasion pour repenser notre modèle de consommation, faire disparaître le paradigme de l’homo œconomicus rationnel pour adopter une pratique engagée et responsable.  

Dans tout manuel général d’économie, le paradigme de l’homo œconomicus trouve une bonne place. Les sciences économiques pensent les relations entre le consommateur et le vendeur à l’aune du choix rationnel, un paradigme bien connu d’autres sciences humaines telles que la science politique. Dans ce modèle un agent économique oriente son action sur base de deux principes : sa rationalité qui lui fait analyser les coûts et les bénéfices de ce qu’il entreprend et l’information censée être parfaitement accessible qui permet à l’agent de faire cette analyse en toute connaissance de cause. Ce modèle explique des grands principes de l’économie comme le fait que la demande des consommateurs préfère à produit homogène des prix les plus bas ou que l’offre des vendeurs se concentre sur les produits à plus forte valeur ajoutée.  

Appliqué au domaine du livre, il est devenu vraiment irrationnel d’acheter un livre en librairie. Un opérateur comme Amazon propose de nombreux livres dans un délai de livraison imbattable. Tous les sites Internet proposent également des commentaires de clients qui vous donnent accès à une bonne information sur le livre que vous achetez. Pour aller en librairie, il faut se déplacer, il faut attendre à la caisse, et seules les informations sur la couverture du livre sont disponibles. Du point de vue de la théorie économique, l’achat en librairie apparaît comme irrationnel.  

Or ce comportement individuel basé sur le calcul rationnel est nocif pour l’intérêt général. Il fragilise premièrement les réseaux de rencontres en évacuant toute la dimension sociale de l’achat. Venir en librairie c’est échanger avec des spécialistes sur les lectures de la saison, c’est se rencontrer, c’est découvrir d’autres livres qu’on ne cherchait pas, l’achat en librairie est vecteur de rapports sociaux inestimables qui échappent à tout calcul rationnel. Il fragilise en deuxième lieu les conditions de travail des employés. Si Amazon est le moins cher, c’est parce que c’est lui qui respecte le moins ses travailleurs en proposant des mauvaises conditions de travail comme le montrait déjà il y a cinq ans un rapport accablant de l’association ATTAC à ce propos. C’est aussi lui qui est responsable d’une empreinte écologique épouvantable, inacceptable à l’heure où nos générations doivent prendre toutes les mesures pour sauver la planète.  

Un nouveau paradigme : l’acteur engagé  

L’homo œconomicus a précipité les activités humaines dans une impasse philosophique, politique, sociale et environnementale : le gain rationnel de quelques agents individuels se construit au détriment des conditions de travail des plus défavorisés et génère une dette écologique odieuse pour les générations futures. Un autre modèle est pourtant possible, celui de l’acteur engagé qui place les effets indirects de son action au même pied que son action directe. Les économistes nomment externalités ces éléments qui dérivent d’une activité principale. De même qu’un bon fruit est un fruit local, de saison, sans déchets, un bon cadeau, un bon achat de vêtements ou un bon livre doivent faire vivre les travailleurs locaux du secteur, en abîmant le moins possible l’empreinte écologique de la planète.   

L’acteur engagé est conscient que son droit de vote aux élections lui permet une fois tous les quatre ou cinq ans de participer à la démocratie, mais que son portefeuille le lui permet tous les jours ! En réalité le modèle de l’acteur engagé s’ancre sur l’idée que l’argent peut changer le monde, à condition de maîtriser son orientation vers des projets positifs pour la collectivité et l’environnement. Cela part d’acheter son pain à la boulangerie, jusqu’aux librairies, ou aux entreprises d’ameublement. Chaque euro qui sort de votre portefeuille devrait dans la mesure du possible soutenir un projet positif pour l’intérêt général.  

Une objection fréquente est que ce type de consommation serait trop chère et réservée uniquement à une élite. C’est vrai en général pour les magasins d’alimentation biologique, mais c’est beaucoup plus limité pour les vêtements, les livres ou d’autres biens du quotidien où les prix sont comparables. Le changement passe en réalité par une prise de conscience de son pouvoir individuel : celui de pouvoir changer un secteur global par une addition d’actions individuelles qui par leur nombre et leur fréquence (dé)construisent un marché.    

Aujourd’hui, le modèle capitaliste de l’homo œconomicus doit être dépassé. Le calcul ne peut plus se faire dans son propre environnement individuel. Il doit se faire dans une dimension collective pour nos enfants et ceux de nos voisins. Pour sauver Filigranes, il faut 2 millions d’euros d’après l’Écho cité plus haut dans le texte, mais il faut surtout un changement de mentalité pour que tous les commerçants indépendants puissent continuer à vivre et que nos centres-villes continuent à regorger de petites boutiques et d’échoppes où on aime flâner entre amis parce que c’est ce qui nous rend purement humains et il ne sera jamais rationnel de détruire ce qui fait notre humanité.  

Dans mon école, la classe de sciences économiques a donné l’exemple en achetant la lecture obligatoire de l’année dans une librairie indépendante en commande groupée, c’est un petit pas qui en amènera d’autres et ces petits pas de tous créeront les solutions de demain !    

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