Interview dans le mag’ de la Bibliothèque de l’Université Catholique de Lille

ZOOM SUR…. La satire politique

Avec Guillaume Grignard, Docteur en Sciences politiques et sociales à l’Université Libre de Bruxelles, Chargé de TD à ESPOL

La vie politique en France ne manque pas de liens avec la satire, la dérision, et la moquerie de ses dirigeants. Mais comment fonctionne réellement un texte satirique ?

Au cours de mes recherches, j’ai travaillé sur de nombreux textes satiriques traitant du politique en développant d’abord une approche par cible. Chaque humoriste fait des blagues qui prennent pour cible un homme ou une femme politique. Il est possible de compter les occurrences des cibles et leur évolution dans le temps. Cela permet de voir qui est ciblé, quand, qui est absent,… Autant de questions qui permettent d’analyser la représentation de l’échiquier politique par le prisme particulier de l’humour. Ensuite, il est possible d’avoir une approche plus qualitative dans l’analyse de discours en essayant de comprendre le sens plus profond du texte. J’ai établi une typologie qui distingue différentes formes d’humour, je dirais que la plus grande différence c’est de distinguer le rire militant du rire de dédramatisation. Le premier fait passer un message, une morale dans l’histoire, tandis que le second apporte de la légèreté à un sujet sérieux, en lui ôtant alors sa signification principale, presque qu’en le vidant de sa force dramatique. Ces deux rires qui peuvent parfois se confondre dépeignent une vision des enjeux de société radicalement différentes et montrent comment l’humour peut avoir des fonctions différentes également.

Quel est votre regard sur le travail de ces humoristes, dessinateurs ou chroniqueurs radios/TV adeptes de la satire politique, ont-ils tous des points communs et si oui, lesquels ?

La typologie dont je parlais permet clairement de distinguer les humoristes. Eux-mêmes se différencient entre eux en parlant d’un rire de forme ou de fond. C’est une expression que j’ai entendue souvent au cours de mes recherches et que j’ai reformulée différemment. Pour donner un exemple, quasiment tout oppose le travail ironique souvent, sarcastique parfois de Guillaume Meurice sur France Inter qui propose des textes que je qualifie de rire militant avec l’imitateur Laurent Gerra de RTL qui est pour moi l’apôtre du rire de dédramatisation. Il faut également souligner le rôle méconnu des auteurs pour humoristes qui sont les petites mains qui travaillent pour écrire des blagues à des humoristes connus qui choisissent alors les meilleurs. Ces auteurs peuvent travailler pour plusieurs humoristes au cours de leur carrière et constituent un angle intéressant pour penser le travail des humoristes.

Les dessinateurs peuvent également se distinguer à l’aune de cette typologie. Un travail similaire de ciblage et d’analyse du dessin est possible. Je suggère l’hypothèse générale de considérer les humoristes dans toute leur diversité à la fois esthétique, sociale et politique. Cette diversité est elle-même le reflet de la diversité médiatique, qui fait qu’écouter RTL ou France Inter le matin ne correspond certainement pas à une expérience similaire. Les humoristes sont donc également le reflet des valeurs portés par les médias qui les emploient.

Un adjectif pour qualifier la satire politique ?

Sérieuse !

Une recommandation lecture ?

Le rire, de Henri Bergson (1900). J’ai toujours adoré les ouvrages anciens qui parlent du rire, on trouve même des passages chez Descartes sur ce thème. Pour moi l’ouvrage de Bergson est un classique qui est trop peu valorisé dans la littérature scientifique contemporaine. Bergson a posé dans ce livre les fondements d’une théorie sociologique du rire en tant que discipline sociale punissant les comportements déviants. On y reconnaît ce qui sera plus tard l’approche fonctionnaliste. C’est un livre sérieux sur le rire et qui est vraiment accessible aux lecteurs néophytes. Son intérêt c’est de nous faire réfléchir sur une pratique qu’on considère comme tellement naturel et qui contient pourtant des dynamiques punitives saisissantes et toujours opérationnelles aujourd’hui.

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