« Borgen, une femme au pouvoir » : Une leçon de démocratie sur Netflix #3

Image : Pixabay

#3 Le fonctionnement de la vie politique

Attention, la lecture de ce qui suit dévoile des éléments clefs de l’intrigue de la série.

Outre la place des femmes dans la démocratie et le rôle des médias, Borgen est avant tout une série politique qui nous plonge dans l’intimité d’un gouvernement de coalition. Le mérite majeur de la série est d’explorer comment se construisent les relations entre les partis formant une coalition, tout comme au sein même des partis où les rivalités internes sont souvent violentes.

C’est sur ce facteur que la série apporte le plus grand intérêt didactique. Elle permet de bien comprendre ce que signifie une coalition de partis politiques qu’on retrouve dans quasiment toutes les démocraties sélectionnant des élus par le scrutin proportionnel. Elle explore même les dynamiques des gouvernements minoritaires qui doivent négocier avec des partenaires variables selon les dossiers.

Ce thème est omniprésent dans l’actualité politique en Belgique et dans le monde en analysant par exemple les relations entre le MR et Ecolo, voire d’ailleurs les relations difficiles au sein même du MR sous la présidence de Georges-Louis Bouchez.

C’est la saison 3 qui représente sans doute le plus grand intérêt pour la science politique. Dans celle-ci Birgitte Nyborg fait son retour en politique, quelques années après avoir perdu les élections. Pour ce faire, elle tente d’abord de réintégrer son parti, c’est là que Borgen explore en profondeur les dynamiques internes à un parti politique. Son leader Jacob Kruse refuse l’offre de Birgitte, pourtant ancienne première ministre. Au passage, un petit clin d’œil à l’Union Européenne, dans la saison 1, ce personnage trop ambitieux pour Birgitte première ministre de l’époque a été renvoyé à un poste européen car il contestait trop son leadership.

Fâchée de ce refus, et en désaccord avec la nouvelle manière de diriger le parti centriste, Birgitte tente de l’affronter à la présidence du parti. Elle s’entoure alors d’une petite équipe pour tenter d’appâter plusieurs élus insatisfaits de la ligne actuelle du parti. Birgitte perd les élections à quelques voix près, dans un climat de tension, de manipulation et de suspicion intenable. C’est la seule véritable défaite électorale que le spectateur vit avec le personnage principal.

Pour assurer son retour en politique, Birgitte décide de créer alors un nouveau parti politique, « les nouveaux démocrates ». C’est certainement le moment le plus stimulant pour la science politique. Comment crée-t-on un parti politique ? Comment construire un programme ? Rapidement une banque lui prête d’importantes sommes d’argent pour obtenir une législation plus avantageuse. Les réunions citoyennes sont enthousiastes mais beaucoup de monde arrive avec des idées différentes et au final illisibles. Tout au long des dix épisodes de la saison 3, les nouveaux démocrates ont toute les peines du monde à définir clairement leurs idées politiques.

Cet élément est au cœur de la vie politique belge où les partis changent parfois de nom comme l’ancien PSC devenu CDH, devenu aujourd’hui « Les engagés ». Les fusions entre partis sont également présentes, rappelons que la N-VA a longtemps été en cartel politique avec le CD&V, et que de nombreuses rumeurs ont affirmé à un moment un rapprochement entre DéFi et les engagés.

Le dernier épisode voit les nouveaux démocrates devoir préparer en catastrophe des élections anticipées inattendues. Le premier ministre de l’époque tente un coup tactique en provoquant des élections au moment où il est bien positionné dans les sondages. La série se termine alors au même endroit qu’elle ne commence dans le tout premier épisode. Malmenée dans les intentions de vote, Birgitte parvient habilement à prendre les électeurs de son ancien parti centriste, la rivalité fratricide entre les deux partis au centre de l’échiquier atteint son paroxysme.

Le final est haletant. Les deux blocs de gauche et de droite dominent les sièges mais aucun des deux camps n’obtient une nette victoire. La dynamique est chez Birgitte Nyborg qui a le pouvoir de king maker, c’est-à-dire une fonction pivotale bien connue des politologues où elle est indispensable à la construction de toute majorité de gauche ou de droite. Un temps proposé par la gauche comme première ministre, désespérée de voir sa victoire lui échapper, Birgitte devient finalement ministre des affaires étrangères d’un gouvernement de droite. Cet épisode final montre à quel point dans une démocratie au scrutin proportionnel, l’identité du vainqueur peut être complexe. Largement en dessous en terme de sièges des deux grandes formations de droite et de gauche, la position pivotale du parti fait de lui un des vainqueurs de l’élection, tout comme en Belgique où plusieurs configurations ont vu des petits partis continuer à être au gouvernement malgré des résultats électoraux modestes.

Pour cela, Borgen est incontestablement une leçon de démocratie. Si n’est pas certain que dans la vie réelle, autant de couples se forment, autant de baisers fougueux ne s’échangent dans les coulisses du gouvernement. Si la vie politique est sans doute parfois beaucoup plus ennuyante et banale que dans le film qui montre toujours le politique face à une crise, Borgen réussit néanmoins le pari de parler de politique sous un format attractif et vivant. Cette série mérite dès lors de servir d’illustrations pour de nombreux cours en école secondaire comme à l’université.

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