« Borgen, une femme au pouvoir » : Une leçon de démocratie sur Netflix #2

Image : Pixabay

#2 Médiatiser la vie politique

Attention, la lecture de ce qui suit dévoile des éléments clefs de l’intrigue de la série.

La démocratie d’aujourd’hui est quotidiennement scrutée par les médias qui fournissent à la fois une information et une analyse politique des événements. Ce thème est au cœur de la série Borgen, en particulier les relations entre les ministres, les attachés de presse et les journalistes. Dans ce deuxième volet, je propose de voir dans quelle mesure Borgen permet de penser le rôle des médias au sein de nos démocraties contemporaines.

On retrouve dans Borgen, la même finesse que j’évoquais précédemment pour la participation politique des femmes. La série nous plonge à la fois dans les coulisses des rédactions et dans celles du cabinet de Birgitte Nyborg. L’intrigue exploite ce lien à merveille en présentant une romance particulière, celle entre Kasper Juul le spin doctor et Katrine Fønsmark, la présentatrice vedette de la chaîne publique TV1.

Le spectateur suit régulièrement les aventures des deux amoureux qui enchaînent les disputes et les baisers de réconciliation. La série repose ici les questions évoquées précédemment sur la distinction entre vie privée et vie professionnelle, puisque les deux tourtereaux se retrouvent après le travail sans pouvoir échanger leurs secrets professionnels, mais ils se retrouvent aussi au travail puisque TV1 invite régulièrement la première ministre, via son spin doctor.

Sur le plan politique, le rôle de ces conseillers en communication dans l’écriture des discours, dans le choix des émissions, dans la divulgation d’informations confidentielles est remarquablement mis en scène. Kasper Juul ne quitte pas d’une semelle sa première ministre. Il évoque constamment les sujets politiques avec elle, sans pour autant décider la ligne de conduite.

Sur le plan médiatique, la rivalité entre les différents présentateurs des émissions est stupéfiante, tout comme l’est le cadrage des sujets. Média et politique apparaissent dans la série comme deux équipes adverses qui jouent parfois un match ensemble âprement disputé. Division entre deux camps aux frontières peu étanches vu le nombre d’informations qui filent des deux côtés. Il y a bien sûr le couple de Katrine et Kasper, mais également les amitiés et inimitiés.

Borgen explore également avec grand intérêt la thématique des transitions entre les deux équipes. En effet, il n’est pas rare de voir des joueurs passer d’un camp à l’autre. Dès le début de la saison 1, un candidat vaincu aux élections se reconvertit dans le journalisme et crée un nouveau tabloïd à sensation absolument détestable, qui lance de nombreuses attaques personnelles à l’encontre des mandataires politiques. Mais ce mouvement va dans les deux sens, ainsi dans la saison 3, Katrine n’est plus journaliste, mais devient responsable de la communication du nouveau parti politique créé par Birgitte Nyborg. Tout ceci n’est pas sans rappeler de nombreux cas dans la vie politique belge, en particulier le passage de la journaliste de la RTBF Hadja Lahbib au ministère des affaires étrangères.

Enfin, la saison 3 nous fait entrer dans un débat très actuel sur la frontière des genres entre information et divertissement, connu sous le nom d’infotainment. Lors de cette saison, un jeune homme avec peu d’expérience journalistique est nommé à la tête de la programmation et souhaite réformer en profondeur la manière dont TV1 couvre les sujets politiques. Il s’ensuit un âpre duel de dix épisodes où le redacteur en chef Torben Friis se voit contraint d’appliquer sans cesse un format d’émission de plus en plus absurde, avant d’envoyer balader violemment au dernier moment le format ludique du dernier débat électoral avant les élections.

Le thème qui est traité dans cette réflexion est celui de l’audience et de la manière dont il contraint le format médiatique. Comment faire de bonnes émissions si peu de gens les regardent ? Comment trouver un équilibre entre une émission attractive et profonde ? Il y a quelques années, j’avais étudié ce phénomène de près lors des élections législatives en 2019 où la RTBF avait justement souhaité innover dans son format de débat électoral. Depuis au moins vingt ans, cette question est au cœur des discussions autour du rôle des médias dans l’arène démocratique, Borgen offre ici un cas d’école emblématique et très intéressant pour aborder ce sujet. On retrouve ici encore une vision sociologique du problème où les acteurs sont confrontés à des contraintes et où ils tentent de trouver un espace de liberté pour y faire face et agir comme ils le souhaitent, sans toujours triompher.

Borgen ne traite pas des réseaux sociaux avant la très récente saison 4, pour rappel bien après la saison 3. La vie politique des années 2010 n’était pas encore aussi imprégnée de ce thème. Néanmoins, ce regard sur le rôle des médias dans la narration politique reste pertinent aujourd’hui et constitue un des grands temps forts de la série.

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