« Borgen, une femme au pouvoir » : Une leçon de démocratie sur Netflix #1

Image : Pixabay

#1 La participation des femmes à la vie politique

Attention, la lecture de ce qui suit dévoile des éléments clefs de l’intrigue de la série.

Borgen est une série Netflix de septembre 2010 créée et développée par Adam Price. La série se déploie sur trois saisons, une quatrième s’est ajoutée 9 ans plus tard, sous-titrée « le pouvoir et la gloire », l’analyse que je propose ici ne concerne que les trois premières saisons initiales.

Cette série nous plonge dans la vie politique danoise, au cœur d’une démocratie fort comparable à la Belgique sur le plan de la médiatisation et des alliances politiques propres au scrutin proportionnel. Ce type de scrutin accorde une juste répartition des voix entre les différents partis et engendre théoriquement des gouvernements de coalition à l’opposé de la vie politique en France ou au Royaume-Uni où le scrutin majoritaire favorise le gagnant qui est théoriquement le seul parti qui détient le pouvoir.

L’atmosphère y est donc fort proche de notre démocratie belge et en ce sens, la série a un incontestable intérêt didactique tant pour les étudiants que pour tout citoyen.  Cette série développe avec subtilité et profondeur des grandes thématiques qui construisent la vie politique contemporaine.

La première grande thématique que je souhaite aborder est celle de la participation politique des femmes. Borgen raconte l’histoire d’une femme, Birgitte Nyborg, candidate d’un parti centriste qui va devenir par un subtil jeu électoral première ministre du Danemark. Mariée, mère de deux enfants, elle partage une riche vie professionnelle avec son mari qui est un chef d’entreprise dynamique.

L’histoire développe abondamment la vie privée de Birgitte Nyborg et explore la déconstruction de la sphère familiale qui épisode après épisode s’affaiblit avant de mener vers un divorce des deux protagonistes.

L’angle de la narration est une fine analyse d’acteurs confrontés à des problèmes, qui tentent de les résoudre, mais qui finalement  se retrouvent écrasés par le système. Sur le plan sociologique, la série montre à la fois le poids des circonstances extérieures sur les choix individuels disponibles que la capacité de ces derniers à y faire face. Le drame familial auquel assiste le spectateur semble inéluctable, malgré les résistances individuelles. C’est comme si la fonction ministérielle ne rendait pas possible la construction d’une famille épanouie.

Toute l’ironie de l’histoire est que Birgitte Nyborg est devenue première ministre précisément parce que son prédécesseur masculin a été happé par des soucis familiaux. Le tout premier épisode de la saison 1 démarre dans un magasin de Londres où la femme du premier ministre dévalise une boutique de luxe tellement elle est laissée seule et dépressive. Son mari doit alors venir d’urgence régler l’addition, qu’il règle avec le compte bancaire du gouvernement. L’info est dévoilée pendant la campagne ce qui conduit à la défaite du premier ministre et à la victoire de Birgitte Nyborg. La série montre ainsi tant le destin d’une vie de couple déséquilibrée où l’une est toujours dans l’ombre de son mari, qu’un couple au départ épanoui professionnellement mais où le travail excessif de l’une conduit à la fin du couple.

Dans la saison 2 Birgitte connaît de graves difficultés avec sa fille qui souffre d’angoisses suite à la pression que subit au quotidien sa maman dans son rôle de première ministre. Le drame s’amplifie quand sa fille finit par devoir se faire hospitaliser en psychiatrie. Birgitte doit alors se mettre en retrait de la vie politique, une histoire qui n’est pas sans rappeler le retrait de notre ancienne première ministre belge, Sophie Wilmes, afin d’être au côté de son mari malade.

Sans jamais être une série moralisatrice, Borgen nous dépeint à quel point il est complexe aujourd’hui de faire coexister des ambitions professionnelles avec une vie de famille équilibrée. Dans une perspective sociohistorique, les modèles de carrière d’antan assuraient une répartition inégale des rôles et des tâches domestiques. Ce consensus inégal, en défaveur des femmes, était accepté comme tel par la société de l’époque avant d’être secoué par des revendications légitimes pour plus d’égalité.

Or, ce mouvement s’est effectué dans un sens bien particulier : les femmes ont souhaité rejoindre les hommes sur leur terrain professionnel. Il est remarquable que la carrière des femmes se soit bien plus accélérée ces dernières décennies que ne s’est généralisé le retour à la maison des papas qui peinent à voir augmenter petit à petit leur nombre de jours de congé de paternité pour ne citer que cet exemple. Le modèle familial s’est donc mué en un schéma où tout le monde doit pouvoir jouir d’une carrière professionnelle épanouissante, tout en construisant une vie de famille équilibrée et juste.

Cette tension est au cœur de nombreux couples aujourd’hui et est parfaitement relatée par Borgen. Le spectateur aimerait tellement que son couple n’explose pas, que sa fille aille mieux, mais que Birgitte reste la brillante première ministre qu’elle est. Or, tout ne sera pas possible. Les circonstances contraignent les acteurs à agir et ces derniers doivent faire leurs choix. L’exploration de l’impossible équilibre entre vie professionnelle et familiale constitue l’une des plus belles réussites de cette série et doit pousser les familles à s’approprier cette question tant dans le couple qu’avec les enfants. Où est la priorité ? Quel est le prix du pouvoir ? En accédant aux plus hautes fonctions du pays, Birgitte Nyborg réalise une brillante carrière tout en détruisant son couple et en faisant souffrir ses enfants.

À n’en pas douter, Borgen apporte ici une contribution majeure au débat sur la place de la vie professionnelle dans le schéma relationnel familial.

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